Retraites : l’Etat préfère Orpea à l’ESS

En théorie, le libéralisme, c’est un principe de responsabilité et d’équité : celui (ou celle) qui prend des risques et investit mérite ce qu’il ou elle gagne, mais s’il ou elle perd, il faut l’accepter aussi. Tu es bon, tu gagnes, tu es mauvais, tu perds. Une logique en principe imparable de responsabilité. Mais depuis l’essor du capitalisme au 19e siècle, ce n’est pas du tout ce qui se passe : on laisse gagner ceux qui réussissent, mais on les sauve s’ils perdent, soit au nom de l’emploi, soit parce qu’ils sont proches des décideurs, soit encore parce qu’ils sont sur un secteur jugé stratégique. Souvent, ce sont les trois qui s’entremêlent. Responsabilité en cas de réussite, solidarité en cas d’échec. Résultat, on s’émerveille de la capitalisation boursière d’Apple qui bat tous les records en Bourse avec une capitalisation de 3 000 milliards, comme si cette performance était le seul résultat de l’action de ses investisseurs et dirigeants. Et de l’autre, on se lamente des 3 000 milliards de la dette publique française, comme si ce lamentable résultat ne provenait que d’une incapacité de l’Etat à baisser ses dépenses publiques et à gérer. Dans les faits, c’est encore et toujours la même loi d’airain qu’appliquent nos décideurs politiques et économiques : privatisation des profits, socialisation des pertes.
L’exemple le plus récent en date et le plus marquant en France concerne Orpea, ce fameux groupe privé qui s’occupe des personnes âgées, nos parents, nos grand-parents, notre famille et dont le livre Les Fossoyeurs a magistralement dénoncé la mauvaise gestion et l’utilisation de l’argent des familles pour rémunérer ses actionnaires plutôt que soigner ses patients. Fin 2023, Orpea a été sauvé par la Caisse des Dépôts qui a réuni un groupement avec certaines mutuelles pour recapitaliser le groupe à hauteur de plus d’un milliard d’euros. Alors, certes, les dirigeants coupables ont été évincés, mais le marché et son soi-disant principe de libre concurrence n’a entraîné strictement aucune sanction financière pour ceux qui ont spolié les pensionnaires des maisons de retraite et leurs famille.
Et pendant que l’Etat recapitalisait Orpea pour plus d’un milliard dont 500 millions pour la seule Caisse des Dépôts, toutes les autres maisons de retraite à statut non lucratif de l’ESS (économie sociale et solidaire) peinent à boucler leurs comptes de fin d’année pour s’occuper au mieux de leurs patients et n’obtiennent aucun soutien ou si peu. En juin 2023, la secrétaire d’État à l’ESS et la Vie associative de l’époque, Marlène Schiappa, était fière d’annoncer la signature d’un accord de partenariat avec la Banque des Territoires accordant généreusement …. 100 millions d’euros par an pour toute l’ESS et ses projets « d’innovation sociale » entre 2023 et 2025. Quelles miettes auront récolté toutes les maisons de retraite qui traitent mieux nos patients qu’Orpea? On ne le saura sans doute jamais. La seule bonne nouvelle dans ce nouvel exemple de socialisation des pertes de mauvaise gestion privée, c’est d’avoir mis Orpea sous tutelle de mutuelles et donc admis que les maisons de retraite seront mieux gérées par l’ESS que par des groupes actionnariaux.