La première coopérative de France n’est pas SCOPELEC comme l’ont publié à deux reprises Les Echos les 25 mars et 1er avril, mais l’enseigne de distribution LECLERC. Trop mal connu et trop mal compris, le modèle coopératif pourrait pourtant inspirer les grandes organisations à la recherche d’un capitalisme responsable…
Par deux fois le 25 mars et le 1er avril, SCOPELEC, installateur de réseaux télécom et sous-traitant d’Orange, a été présenté dans le quotidien économique les Echos comme la « première coopérative de France ». Les critères ne sont pas précisés, mais en tout état de cause, l’information est erronée et révèle le flou qui entoure la notion de «coopérative».
SCOPELEC est certes une coopérative, mais plus précisément une SCOP, société coopérative et participative dans laquelle les membres de la coopérative (associés majoritaires) sont les employés. Dans les autres coopératives, les membres ne sont pas les employés, mais les clients de l’entreprise et/ou ses fournisseurs, soit des personnes physiques (coopératives de consommateurs), soit des personnes morales (coopératives d’entreprises).
Toutes catégories confondues, la première coopérative de France en chiffre d’affaires n’est donc pas SCOPELEC, mais le groupement de distribution LECLERC ainsi que le révèle l’édition 2022 du Top100 des coopératives publiée par COOP.FR, l’organisme représentatif des coopératives en France, toutes familles confondues (Scop, coopératives agricoles, bancaires, etc.). ACDLEC, la tête de réseau du groupement LECLERC a réalisé un chiffre d’affaires de 48 milliards d’euros en 2020, dernière année connue pour le classement 2022.
LECLERC, une coopérative ? Comment est-ce possible ? En quoi la première enseigne de distribution française serait-elle coopérative alors que pour proposer des prix toujours plus bas, elle est réputée pressurer ses fournisseurs et ses salariés sans vergogne ?
Tout simplement parce que les membres du groupement LECLERC n’en sont ni les salariés ni les fournisseurs, mais les magasins. Chaque magasin LECLERC mutualise la marque LECLERC avec d’autres magasins, mais chacun est une entreprise juridiquement indépendante et à statut très traditionnel SA ou SAS.
C’est au second niveau que s’organise la coopération via la tête de réseau ACDLEC, animée par Michel-Edouard Leclerc. Le but du groupement est de mutualiser pour les membres tout ce qui leur permet d’être plus forts : achats (par exemple les carburants), logistique (transport, stockage, conditionnement…), système d’information (le nerf de la guerre de tous les réseaux aujourd’hui), marketing et communication… De ce point de vue, le modèle coopératif de LECLERC est une alternative à la franchise, l’autre grand système d’organisation de commerçants indépendants.
Dans une franchise, le pouvoir et la décision partent d’en haut via le franchiseur qui détient le savoir-faire et les ressources. Dans une coopérative, le pouvoir vient du bas ; les magasins ont la main et sont co-décideurs de leur groupement. Au quotidien, les rapports de force ne sont pas si binaires et Michel-Edouard Leclerc à ACDLEC n’est pas qu’un simple exécutant même si formellement, le collectif des magasins membres a le pouvoir.
Si on parle cette fois en nombre de membres et non en chiffre d’affaires, la première coopérative de France n’est pas LECLERC, mais le groupe Crédit Agricole qui en 2020, réunissait 11 millions de clients sociétaires et donc associés de leur banque (alors que LECLERC n’a que 533 magasins membres).
Dans le cas du Crédit Agricole, ce sont les caisses régionales et les caisses locales qui sont coopératives, mais pas la tête de réseau qui est une société anonyme (l’inverse de LECLERC). La gouvernance mutualiste au Crédit Agricole est néanmoins doublement assurée : d’une part, les caisses régionales sont majoritaires au capital de Crédit Agricole SA et d’autre part, la tête de réseau économique est doublée d’une tête de réseau politique constituée en Fédération dirigée par des élus issus des rangs des clients sociétaires.
Plus globalement, les groupements coopératifs de commerçants sont les plus puissants en chiffre d’affaires tandis que les banques mutualistes sont celles qui pèsent le plus en nombre de membres.
Dans une économie qui impose de concilier global et local avec des organisations toujours plus grandes, complexes, confrontées à des contingences politiques autant qu’économiques ainsi qu’à une responsabilité croissante envers toutes les parties prenantes, l’avenir est nécessairement aux modèles coopératifs et en réseaux.
De ce point de vue, on ne peut que se réjouir de fêter cette année le 20e anniversaire des SCIC, sociétés coopératives d’intérêt collectif dont le principe est de réunir autour d’un projet d’intérêt collectif toutes les parties prenantes concernées par ce projet, parmi lesquelles obligatoirement les bénéficiaires (clients) et les employés (salariés). Une piste d’avenir pour les têtes de réseaux de ces très grandes organisations en recherche de solutions pour canaliser les dérives du capitalisme financier.