L’agriculture est au cœur de notre vie. C’est elle qui nourrit les humains, les animaux, l’environnement. Nous avons cru bien faire dans les années 50 en développant une agriculture intensive, concentrée, productiviste, dépendante de semences privatisées, de produits chimiques, de machines, etc. Sans imaginer les répercussions sur le climat, notre environnement et notre alimentation.
Progrès
On ne saurait trop dire combien les agriculteurs dans cette affaire, sont victimes et non coupables. Après-guerre, le défi était immense. Le progrès technique et scientifique ouvrait la perspective d’éradiquer la faim dans le monde, éradiquer les microbes et les bactéries de nos aliments, permettre à chaque pays de valoriser ses propres ressources agricoles par la mondialisation. C’est la société toute entière qui s’est plongée dans cette voie. Même le célèbre candidat écologiste à la présidentielle de 1974, René Dumont, encourageait les français à suivre le modèle américain pour moderniser l’agriculture. Et il a eu raison ! On n’a pas éradiqué la faim dans le monde, mais on a fait des progrès. La mortalité infantile a baissé. L’espérance de vie s’est améliorée et ce n’est que depuis 2020 qu’on observe pour la première fois un recul.
Responsabilité
On s’aperçoit aujourd’hui qu’on a été beaucoup trop loin. Et si coupables il y a, c’est une minorité de personnes, des entrepreneurs, des industriels et financiers grisés par leur propre puissance et qui ont entraîné tous les autres dans la voie du toujours plus : plus de parts de marché, plus de produits, plus de clients, plus d’argent, etc. Les décideurs politiques et syndicaux ont eux aussi leur responsabilité : au nom de l’emploi, de l’économie et du rayonnement national, ils ont fait preuve soit de complaisance, soit de lâcheté, parfois les deux. Quant aux médias, la pression économique et concurrentielle les a conduits à dénoncer toujours plus vite et à expliquer de moins en moins, à rechercher l’émotion et non l’intelligence.
Agriculteurs 2.0
Sur les 450 000 exploitants agricoles qui existent aujourd’hui, trois grandes familles coexistent comme l’a résumé Serge Papin, rapporteur pour le gouvernement d’un rapport sur la chaîne de rémunération dans le secteur agro-alimentaire : d’un côté les PME et TPE de l’agriculture, de vraies entreprises qui grandissent et récupèrent petit à petit les terres des voisins qui partent à la retraite, de l’autre des exploitations familiales à l’ancienne de moins en moins nombreuses et enfin des néo-agriculteurs voulant promouvoir un retour à une agriculture alternative plus locale et plus écologique. Dans les trois cas, la capacité à pérenniser l’agriculture de demain suppose de se regrouper intelligemment à tous les échelons géographiques : local, régional, national, européen, international.
Coopératives agricoles
Les coopératives agricoles françaises sont beaucoup critiquées pour avoir succombé aux sirènes du productivisme, mais elles n’ont fait que s’inscrire dans le courant sociétal et politique des années 50 et 60. Elles sont aussi critiquées pour être devenues de gigantesques entreprises dans lesquelles l’adhérent n’existe plus que dans les documents de communication. Mais d’une part, les 10% de très grosses coopératives ne doivent pas occulter les 90% de coopératives petites et moyennes. D’autre part, les coopératives françaises sont moins grosses que leurs concurrentes étrangères et pour acheter et vendre avec des acteurs plus gros, on n’a pas d’autre choix que de grossir soi aussi. Small is not toujours beautiful : l’éloignement entre l’adhérent et la tête de réseau ne fait pas disparaître le lien coopératif, il le change. La démocratie directe est devenue représentative. L’écoute des adhérents et inversement, l’engagement des adhérents sont ensuite affaire de gouvernance, de responsabilité et de compétence de la part des salariés et de leurs dirigeants.
Autrement dit, la coopérative est toujours une solution pour l’agriculture et la chaîne alimentaire. Mais la coopérative du 21e siècle sera bien différente qu’au 19e et au 20e…